Résonances littéraires : Les Vases Chinois vus par des Poètes
Dans cette section, nous vous présentons une sélection raffinée de poèmes consacrés aux vases chinois. Ces objets d’art, emblèmes de la culture et de l’esthétique chinoises, ont de tout temps suscité admiration et inspiration. À travers ces compositions littéraires, nous explorons la profondeur symbolique, la beauté formelle et l’héritage artistique qu’incarnent les vases chinois.
Ce recueil poétique, est appelé à grandir et à s’enrichir au fil du temps, rassemblant de nouvelles œuvres qui approfondiront cette exploration artistique. Il vous invite à une réflexion sur l’harmonie des formes, la subtilité des motifs, et l’importance culturelle de ces créations intemporelles.
Victor Hugo
VASE DE CHINE
À LA PETITE CHINOISE Y-HANG-TSEI
Vierge chi pays du thé,
Dans ton beau rêve enchanté,
Le ciel est une cité
Dont la Chine est la banlieue.
Dans notre Paris obscur,
Tu cherches, fille au front pur,
Tes jardins d’or et d’azur
Où le paon ouvre sa queue;
Et tu souris à nos cieux;
A ton âge un nain joyeux
Sur la faïence des yeux
Peint l’innocence, fleur bleue.
1er décembre 1851
Sully Prudhomme
LE VASE BRISÉ
Le vase où meurt cette verveine
D’un coup d’éventail fut fêlé ;
Le coup dut l’effleurer à peine :
Aucun bruit ne l’a révélé.
Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D’une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s’est épuisé ;
Personne encore ne s’en doute ;
N’y touchez pas, il est brisé.
Souvent aussi la main qu’on aime,
Effleurant le coeur, le meurtrit ;
Puis le coeur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;
Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde ;
Il est brisé, n’y touchez pas.
Victor Hugo
LE POT CASSÉ
Ô ciel ! toute la Chine est par terre en morceaux !
Ce vase pâle et doux comme un reflet des eaux,
Couvert d’oiseaux, de fleurs, de fruits, et des mensonges
De ce vague idéal qui sort du bleu des songes,
Ce vase unique, étrange, impossible, engourdi,
Gardant sur lui le clair de lune en plein midi,
Qui paraissait vivant, où luisait une flamme,
Qui semblait presque un monstre et semblait presque une âme,
Mariette, en faisant la chambre, l’a poussé
Du coude par mégarde, et le voilà brisé !
Beau vase ! Sa rondeur était de rêves pleine,
Des boeufs d’or y broutaient des prés de porcelaine.
Je l’aimais, je l’avais acheté sur les quais,
Et parfois aux marmots pensifs je l’expliquais.
Voici l’yak ; voici le singe quadrumane ;
Ceci c’est un docteur peut-être, ou bien un âne ;
Il dit la messe, à moins qu’il ne dise hi-han ;
Ça, c’est un mandarin qu’on nomme aussi kohan ;
Il faut qu’il soit savant, puisqu’il a ce gros ventre.
Attention, ceci, c’est le tigre en son antre,
Le hibou dans son trou, le roi dans son palais,
Le diable en son enfer ; voyez comme ils sont laids !
Les monstres, c’est charmant, et les enfants le sentent.
Des merveilles qui sont des bêtes les enchantent.
Donc, je tenais beaucoup à ce vase. Il est mort.
J’arrivai furieux, terrible, et tout d’abord :
– Qui donc a fait cela ? criai-je. Sombre entrée !
Jeanne alors, remarquant Mariette effarée,
Et voyant ma colère et voyant son effroi,
M’a regardé d’un air d’ange, et m’a dit : – C’est moi.
Stéphane Mallarmé
EN ENVOYANT UN POT DE FLEURS
Minuit au vieux beffroi : l’ombre dort, et la lune
Se joue en l’aile noire et morne dont la nuit,
Sombre corbeau, nous voile. Au ciel l’étoile fuit.
– Mille voix du plaisir voltigent à moi : l’une
M’apporte ris, baisers, chants de délire : suit
Une fanfare où Strauss fait tournoyer la brune
Au pied leste, au sein nu, que sa jupe importune.
– Tes masques ! carnaval ! tes grelots ! joyeux bruit ! –
Et moi, je dors d’un oeil, et je vous dis, Marie,
Qu’en son vase embaumé votre fleur est ravie
D’éclore sous vos mains, et tressaille au bonheur
De vivre et se faner un soir sur votre coeur !
– Ah ! d’une aurore au soir dût s’envoler ma vie
Comme un rêve, fleurette, oui, ton sort, je l’envie !
Dimanche de Carnaval 1859 Minuit et quart
Jacques Prévert
CHANSON DU GEÔLIER
Poème en forme de vase
Où vas-tu beau geôlier
Avec cette clé tachée de sang
Je vais délivrer celle que j’aime
S’il en est encore temps
Et que j’ai enfermée
Tendrement cruellement
Au plus secret de mon désir
Au plus profond de mon tourment
Dans les mensonges de l’avenir
Dans les bêtises des serments
Je veux la délivrer
Je veux qu’elle soit libre
Et même de m’oublier
Et même de s’en aller
Et même de revenir
Et encore de m’aimer
Ou d’en aimer un autre
Si un autre lui plaît
Et si je reste seul
Et elle en allée
Je garderai seulement
Je garderai toujours
Dans mes deux mains en creux
Jusqu’à la fin de mes jours
La douceur de ses seins modelés par l’amour
Guillaume Apollinaire
FLEURS Calligramme