0698369286
Jikji

Le Jikji : Un livre de 1377 qui met à mal l’eurocentrisme

par | 31 Juil, 2024 | Patrimoine | 0 commentaires

Bene Venitis

Découvrez sur notre blog une exploration fascinante du Jikji, le plus ancien livre imprimé avec des caractères métalliques mobiles, qui remet insolemment en question la vision eurocentrique de l’histoire, notamment de l’imprimerie. Apprenez comment ce chef-d’œuvre bouddhique, imprimé en Corée en 1377, soit 78 ans avant la Bible de Gutenberg, est arrivé en France et son impact culturel universel. Une lecture essentielle pour comprendre l’importance mondiale des innovations asiatiques.

L’eurocentrisme, une perspective privilégiant l’histoire, la culture et les valeurs européennes, a longtemps marginalisé les contributions des autres cultures. Cet article explore comment l’invention de l’imprimerie en Corée, exemplifiée par le Jikji, met en lumière les avancées technologiques de l’Asie ignorées de l’histoire mondiale.

Le Jikji : Contexte et importance

Un chef-d’œuvre bouddhique

Le Jikji, intitulé « Baegun hwasang chorok buljo jikji simche yojeol », est un texte bouddhique compilé par le moine Baegun et ses disciples. Imprimé en 1377 au temple Heungdeok-sa à Cheongju, il rassemble les enseignements des patriarches bouddhiques pour guider les pratiquants vers une compréhension profonde de l’esprit zen. Ce texte témoigne de l’importance de la tradition bouddhique en Corée et de l’engagement des temples dans la diffusion de la connaissance.

Technologie d’impression

L’innovation technologique du Jikji repose sur l’utilisation de caractères métalliques mobiles. Cette méthode permet une impression plus rapide et flexible, une avancée significative par rapport aux techniques de gravure sur bois. Les caractères étaient fabriqués en métal avec la technique de la cire perdue, arrangés sur une plaque pour former des pages de texte, puis encrés et imprimés. Ce processus novateur a permis une impression plus efficace et a influencé les développements futurs de l’imprimerie.

L’eurocentrisme

L’obscurantisme médiéval en Europe

Pendant que l’Europe était plongée dans l’obscurantisme médiéval, avec des connaissances souvent limitées et des avancées technologiques restreintes, d’autres régions du monde, comme l’Asie de l’Est, connaissaient des développements significatifs. L’invention de Gutenberg, souvent célébrée comme le début de l’imprimerie moderne, est en fait précédée par des siècles d’innovations de l’imprimerie en Asie.

Johannes Gutenberg

Johannes Gutenberg est souvent crédité de l’invention de la presse à imprimer à caractères mobiles en Europe vers 1440. Sa méthode impliquait l’utilisation de caractères en métal et une presse mécanique adaptée pour l’impression. Gutenberg a notamment imprimé la célèbre Bible de Gutenberg en 1455, un des premiers livres produits en masse en Europe.

L’alphabet latin

La diffusion rapide de la presse de Gutenberg a été facilitée par l’utilisation de l’alphabet latin, comprenant environ 26 lettres, ce qui simplifiait le processus d’impression. En revanche, les systèmes d’écriture coréens et chinois, avec leurs milliers de caractères, ont posé des défis supplémentaires pour l’impression à caractères mobiles. Cela explique en partie pourquoi l’impression avec des caractères métalliques mobiles a eu un impact plus immédiat et plus vaste en Europe qu’en Asie de l’Est, malgré l’innovation antérieure du Jikji. L’Inquisition a paradoxalement contribué à l’essor de l’imprimerie en Europe en standardisant les textes religieux et en favorisant la diffusion de documents approuvés par l’Église. Cela a également permis à l’imprimerie de se développer rapidement dans un cadre structuré et centralisé.

L’arrivée du Jikji en France

Victor Collin de Plancy

Le Jikji a été introduit en France par Victor Collin de Plancy, consul de France à Séoul à la fin du 19ème siècle. Collin de Plancy, passionné par la culture coréenne, a acquis de nombreux ouvrages anciens, dont le Jikji, et les a ramenés en France.

Henri Vever

En 1911, le Jikji a été acheté par Henri Vever, un célèbre collectionneur de livres et de manuscrits, pour 180 francs, l’équivalent de plus de 60.000 euros aujourd’hui. Reconnaissant la valeur inestimable de ce document, Vever l’a soigneusement conservé et l’a légué à la Bibliothèque nationale de France en 1950.

Le Jikji, 1377

coll. Bibliothèque Nationale de France.

Jikji

Conservation et accès

Bibliothèque Nationale de France

Aujourd’hui, le Jikji est conservé à la BnF sous la cote Coréen 109. En raison de sa fragilité et de son importance, son accès est strictement contrôlé pour préserver son état. Cependant, une version numérisée est disponible via Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, permettant un accès mondial à ce trésor historique.

Reconnaissance internationale

Registre Mémoire du Monde de l’UNESCO

En 2001, le Jikji a été inscrit au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO, reconnaissant son importance historique et culturelle et soulignant son rôle crucial dans l’évolution de l’imprimerie mondiale.

Trésor national de la Corée du Sud

Le Jikji est également classé parmi les trésors nationaux de la Corée du Sud, mettant en lumière la fierté nationale et la valeur inestimable de cet ouvrage pour le patrimoine culturel coréen.

Impact et héritage

Contributions technologiques

L’impression à caractères métalliques mobiles du Jikji représente une avancée technologique majeure, permettant une impression plus rapide, flexible et économique. Cette méthode a posé les bases pour les développements futurs de l’imprimerie, influençant indirectement les innovations en Europe et ailleurs.

Réévaluation de l’histoire de l’imprimerie

La reconnaissance du Jikji met en évidence la nécessité de réévaluer l’histoire de l’imprimerie pour inclure les contributions non-européennes. Cette réévaluation est essentielle pour une compréhension plus complète et équitable de l’histoire technologique mondiale.

Restitution et patrimoine

La restitution d’œuvres d’art et de documents historiques à leur pays d’origine est un sujet de plus en plus discuté dans le contexte des collections muséales et bibliothécaires. Concernant le Jikji, plusieurs voix se sont élevées pour que cet ouvrage retourne en Corée, son lieu d’origine. La restitution du Jikji permettrait non seulement de reconnaître la valeur culturelle et historique de ce document, mais aussi de réparer les injustices historiques liées à la colonisation et aux échanges inégaux. La Bibliothèque nationale de France, en tant que dépositaire actuel du Jikji, joue un rôle crucial dans ce débat, et la possibilité de restitution soulève des questions importantes sur la propriété culturelle et le respect du patrimoine global.

Le Jikji dans le contexte mondial

Le Jikji ne se contente pas d’être le plus ancien livre imprimé avec des caractères métalliques mobiles, mais il symbolise également la richesse culturelle et technologique de la Corée médiévale. Son impression en 1377 montre que les techniques avancées d’imprimerie n’étaient pas uniquement une prérogative européenne. Cela remet en question la vision eurocentrique de l’histoire de l’imprimerie, souvent centrée sur Gutenberg et sa Bible de 1455.